Le retour du tigre
Raja Chatterjee, 50, est secrétaire de Junglees, une des plus grandes ONG pour la conservation des animaux sauvages en Inde. Il a été témoin de la première libération documentée d'un tigre en bonne santé dans les forêts des Sunderbans. L'animal avait été soigné pour une blessure dans le zoo de Kolkata. Expérience unique, dit-il. La population des tigres en Inde s'est réduit de 40 000 au siècle dernier à 1 000 animaux aujourd'hui. Trois grands parcs nationaux ont révélé ce mois que la chasse illégale et le braconnage avaient éliminé tous leurs tigres.
Mardi le 28 juillet 2009
Le tigre est relaché. Photograph: Abhijit Dasgupta
Le tigre avait une blessure grave à sa patte arrière. Incapable de chasser, le 13 mars dernier il est entré dans le village de Shamsernagar à la recherche de nourriture.
Les villageois qui l'ont trouvé dans une étable ont immédiatement appelé les gardes forestiers, qui ont tranquillisé l'animal. Le 16 mars le tigre a été transporté au zoo de Kolkata où on a commencé à le soigner. C'était la première fois qu'un tigre sauvage perdu avait reçu des soins vétérinaires.
L'animal était un mâle et il n'avait que neuf ans, qui explique pourquoi il s'est remis rapidement de sa blessure. La semaine dernière les vétérinaires du zoo ont dit que le tigre était en bonne santé et pouvait voyager. Le conservateur en chef des forêts, Atanu Raha, a donné son accord.
Le soir du 21 juillet le tigre a été transporté à Harikhali, à 165 kilomètres de Kolkata. Nous avons choisi Harikhali parce que c'est loin de l'endroit où on a trouvé le tigre; les villageois n'auraient pas apprécié de le retrouver une deuxième fois. Nous y sommes arrivés le lendemain. Il y avait plusieurs journalistes régionaux, mais pas un seul journaliste national ou international. Pour eux c'était juste un tigre, juste une histoire comme Born Free.
Le tigre était stressé par le long voyage et il avait faim. On lui a donné un poulet à manger. Quelques villageois nous ont parlé de l'éclipse solaire qui allait arriver ce jour là, le 22 juillet. La tradition Hindu interdit le travail important quand le soleil est ombragé par des démons. Nous ne croyons pas à ces idées superstitieuses, mais on devait respecter les croyances des villageois. Dans les Sunderbans, on appelle le tigre Le roi à adorer; c'est en effet un dieu. Si on voulait travailler avec ces gens dans l'avenir on devait comprendre leurs sentiments.
Raha et moi nous avons parlé avec les chefs du village, en leur expliquant que le gouvernement voulait que le tigre soit relaché le 22 juillet, et pas une journée plus tard. Ils ont fini par céder, car le gouvernement est plus fort que n'importe quel dieu en Inde.
Le tigre était plus décontracté. De temps en temps il lèchait l'ancienne blessure.
Vers 14h la cage du tigre a été ouverte par un employé du zoo. Le bâteau était à 30 mètres du rivage dans la forêt. La silence était profonde. Le tigre n'a pas bougé, il ne s'est pas rendu compte que la cage était ouverte.
Ensuite le tigre a baillé, puis il a regardé par la porte ouverte vers sa nouvelle forêt. Il a pris quelques pas hésitants et s'est returné.
Comme si pour prendre la température, il a mis une de ses pattes dans l'eau, puis il a plongé. Il a nagé rapidement vers la rive.
Une fois sur la rive, le tigre s'est secoué, puis nous a regardé. Après quelques pas hésitants, il a commencé à marcher vers la liberté. Il s'est arrêté pour nous regarder une dernière fois, longuement. Puis il est parti en courant. C'était notre dernière vue du premier tigre relâché dans la forêt en Inde après avoir reçu des soins vétérinaires. Nous étions des témoins de l'histoire en train d'être créé.
Parmi les 1000 tigres qui restent en Inde, 200 sont du Bengale, dans cette région des Sunderbans. Il y a cinq ans, le chiffre était 275. L'importance de la libération de ce tigre dans sa forêt à lui, et de l'effort fourni par les vétérinaires pour le guérir de sa blessure, doit être reconnue.
Premièrement, c'est un tigre mâle, et c'est la saison des amours. Maintenant qu'il est de retour chez lui il va procréer des enfants, ce qui est très positif.
Deuxièmement, je veux féliciter les villageois qui n'ont pas attaqué l'animal mais qui ont appelé les gardes forestiers. On a eu des cas de vieux tigres tués par des villageois terrifiés. Le fait que les villageois l'ont protégé est preuve du developpement d'une conscience de leurs responsabilités envers les animaux.
• Raja Chatterjee was interviewed by Abhijit Dasgupta, a freelance journalist in Kolkata
Lu dans The Guardian du 28 juillet 2009.
